A Vannes, la bien nommée, de joyeux
drilles se réunissent le dimanche pour se muscler le boyau de la
rigolade. Ils font des ho, des hi et des ha en imitant le singe ou
le kangourou. Du sérieux qui ne prête pas à rire.
Entre
bruyères et ciel bleu jaillissent des hi..., des ho...
et des ha.., bientôt suivis de franches marrades en
rafales. Les mouettes rieuses du golfe du Morbihan, qui survolent
la plage du Bill, modifient leur plan de vol pour ne pas se
gausser des étranges gesticulations d'un de ces groupes d'humains
dont, leur a-t-on enseigné, le rire serait le propre.
Ici,
à Séné, près de Vannes, Salvatore Augeri a pris, depuis
quelques mois, l'habitude de réunir, le dimanche matin, les
adeptes de son association. Rien d'une secte, mais un Club du
rire tout ce qu'il y a de plus sérieux. Il offre à ses adhérents
de se muscler le boyau de la rigolade, comme d'autres font de la
gonflette pectorale devant une photo dédicacée de Stallone.
Salvatore,
46 ans, n'est pas gourou, mais chimiste de métier. Son patronyme
italien Augeri (de me voir si belle dans ce miroi- oi-oir !,
plaisante un mélomane facétieux du club) le prédisposait,
certes, à un optimisme qu'il espère contagieux. Pourtant, sans
le hasard d'un zapping sur Arte, l'hiver dernier, il
n'aurait pas découvert l'existence des clubs du rire montés en
Inde par le Dr Madan Kataria. Pas eu connaissance, non plus, de la
naissance du premier club français de ce type, à Mulhouse. Il
vient d'y faire ses classes d'animateur.
« Le
rire, ça fait du bien. Ça crée des connivences entre les êtres
humains. Ça désinhibe certains en les aidant à aller vers les
autres. Et puis, c'est bon pour la santé, ça aide à vieillir.
Les thérapeutes l'affirment. Tout le monde le sent intuitivement », dit Salvatore, les pupilles rieuses.
Assez
de mots, place à la méthode. Ce matin, vingt-cinq personnes ont
honoré le rendez-vous. Hommes et femmes. Actifs et retraités.
Apparemment, aucun pisse-froid, aucun dépressif poussé là par
un psy. Rien que des gens équilibrés croquant dans la vie, « désireux
de toujours plus et mieux rigoler », observe Maurice
Guilloux, 69 ans, ancien commercial. A ses côtés, quelques
joyeux drilles, des licenciés ès-gaudriole, des princes (sans
rire) du calembour non rassasiés.
« On
débute par un exercice d'échauffement »,
invite Salvatore en exposant des rudiments de technique
respiratoire. Autour de lui, en cercle à quelques encablures de
la plage, le groupe claque des mains et attaque une longue série
de « ho, ho, ha, ha, ha », à s'en vider les
poumons. Une minute de respiration, puis une blague jaillit. « Ta
braguette est mal fermée, Salvatore !... ». Poilade
générale.
Pendant
trois quarts d'heure, il maestro Augeri enchaîne des séries
de rires à reproduire dans une gestuelle débridée. Debout,
allongé, assis. Avec « le rire du cheminot »
un spécial boute-en-train des duos se prennent par la main,
puis imitent un mouvement de bielles cadencé par des ho...
« Le rire du kangourou » oblige à effectuer
d'aériens sauts marsupiaux en pouffant. « Le rire de l'éléphant »
force à se pincer le nez, d'une main, à mimer la trompe, de
l'autre, en expectorant des hi hi hi... Les éventuelles
inhibitions sont depuis longtemps restées sur le parking voisin.
Chacun joue le jeu, se tord, saute, s'agite, en vidant sa cage
thoracique de rires rentrés. A la manière de Michel Leeb, « le
rire du singe », un bras levé, l'autre en forme de
gratte-aisselle, génère une 'marrade' en cascade. Mais, « le
rire du hibou », tête rentrée dans les épaules,
bouche programmée pour des hou-hou, aura également ses
fans, à la fin.
Il
est 11 h 30. En passant par là, quelques joggeurs et vététistes
ont pu prendre Salvatore et ses amis pour d'aimables dingues. Pas
grave. « Ça fait sacrément du bien », avoue
Denise, la quarantaine. « Oui, moi je vis seul avec mon
chien, et je sais que je ne ris pas assez », confirme Joël,
60 ans. C'était son premier cours : on le reverra. D'évidence,
Jeanne, récente septuagénaire, a pris, elle aussi, un abonnement
avec le Club du rire vannetais. Tout comme François Daguin,
la cinquantaine, horticulteur à Baden, venu avec sa femme et des
amis. « En groupe comme ça, on rigole différemment,
sans être soumis au jugement des autres », commente ce
rigolard très éclectique, fan des Tontons
flingueurs et capable de se bidonner à la vue des caricatures
de Sarkozy par Cabu, dans le Canard enchaîné du mercredi.
Conteur professionnel, Michel Corrignan acquiesce, en bon barbu
poilant qui se respecte.
Branché
sur la station FM Rires et chansons, dès qu'il s'installe
au volant de sa voiture, Salvatore Augeri ne se prend surtout pas
pour un thérapeute. « J'aime la vie. J'aime que les gens
s'épanouissent, comme moi. J'aime la connivence entre individus
qui naît du rire. Ce que nous faisons ensemble est modeste, mais
utile », se borne-t-il à expliquer. Ses camarades de
club, eux aussi, l'aiment. Et ça se voit. Leur séparation
dominicale paraît difficile. Comme s'il s'agissait de vérifier
l'adage Rira bien qui rira le dernier.
Alain GUELLEC.